Culture

« Papa, viens me chercher ! » : face à face d’un père et sa fille mineure, victime de prostitution

Papa, viens me chercher !LIVRE - Dans un livre-témoignage rare, Thierry Delcroix et sa fille Nina racontent à la fois l'enfer qui a conduit l'adolescente à la prostitution et le combat mené par ses parents pour la sauver...

 

Tout au long de cet ouvrage, Nina retrace l'engrenage qui l'a conduite à se prostituer et son embrigadement par les proxénètes. Au départ, un sentiment de liberté. La mineure raconte ses difficiles années de collège. Cette bonne élève, qui faisait l'objet de railleries, explique avoir voulu rompre avec l'image de petite fille sage qui lui collait à la peau et que ses harceleurs ne manquaient pas de lui rappeler. Nina voyait dans la prostitution un moyen d'attirer leur attention, de se démarquer et de s'émanciper de son environnement familial, pourtant sécurisant. Rapidement, elle dit avoir été attirée par l'argent, qu'elle voyait comme une arme de séduction susceptible de lui procurer la notoriété qu'elle recherchait. LIRE>>>

 

À l'image de Nina, entre 5.000 et 8.000 personnes mineur.e.s (selon l'association Agir Contre la Prostitution des Enfants), quasiment exclusivement des jeunes filles, de nationalité française, âgées de 13 à 17 ans, sont victimes de prostitution. Souvent réduite à l'exploitation de mineur.e.s étranger.e.s non accompagné.e.s ou à un « proxénétisme de cité », la prostitution des mineur.e.s concerne l'ensemble des milieux sociaux. Les professionnel.le.s de l'enfance constatent que ces jeunes filles considèrent la prostitution comme un moyen de s'élever socialement, là où d'autres ascenseurs sociaux ont échoué. C'est ce qu'ils appellent l'effet « Zahia », du nom de la mineure offerte en « cadeau d'anniversaire » au footballeur Franck Ribéry que les médias ont érigé ensuite en prototype de la femme libérée et moderne.

>>> Pour aller plus loin :

 

 

 

Pour Nina, l'argent représentait également un moyen de s'affirmer à travers une prostitution "choisie". Comme elle, les victimes mineures de prostitution, prises au piège de leur proxénète, affirment très souvent qu'elles « gèrent » et que « tout le monde le fait ». Ces expressions illustrent le processus de « dissociation » qu'elles ont mis en place pour survivre à la violence de la prostitution. Il s'agit d'une anesthésie émotionnelle provoquée par le cerveau, à la suite d'un traumatisme, et qui donne le sentiment, assez déroutant, que ces mineures seraient conscientes et volontaires, lorsqu'elles se prostituent.


Nina a été victime d'un viol à l'âge de 15 ans, violence qui a occasionné chez elle un état de stress post-traumatique et une déconsidération de son image et de son corps. « Depuis le viol que j'ai subi, je n'ai plus d'estime pour mon corps », écrit-elle (p.88).


Nina explique alors qu'elle s'était enfermée dans le mensonge et refusait de livrer son malaise à ses parents ainsi qu'à l'ensemble des professionnel.le.s qu'elle rencontrait.


« Je vois une psychologue, une fois tous les quinze jours, depuis que ma famille a découvert que je sèche les cours. Avec elle aussi je joue un rôle. Je lui mens comme à tout le monde. Je lui raconte ce qui va dans le sens de mes parents pour qu'elle pense que je vais mieux. A cette époque, je suis devenue imperméable à tous les conseils, toutes les recommandations, tout raisonnement » (p.41).


Seule pour affronter la violence du système prostitutionnel, Nina explique avoir naturellement eu recours aux drogues : « Après avoir fumé mes premiers joints à Troyes, j'ai pris goût au cannabis. Comme l'alcool, la drogue m'aide à me supporter » (p.59).


En parallèle, son père, Thierry Delcroix, raconte la solitude de son combat. Il explique que son épouse et lui-même ont vu les résultats scolaires de leur fille chuter à mesure que Nina multipliait les fugues et les comportements transgressifs.


Il ressort également de son témoignage la singularité de leur situation. En effet, contrairement à de nombreux parents, Thierry et Muriel Delcroix ne sont pas ce que les services sociaux qualifient de « parents défaillants », mais plutôt des figures d'attachement. Ils n'ont jamais cessé de se rendre disponibles pour leur fille, par leur présence et dans leurs échanges.


Le père dénonce les fugues signalées au commissariat sans que sa fille ne soit activement recherchée, la lenteur des institutions judiciaires et l'inadéquation de l'Aide Sociale à l'Enfance qui, chargée de protéger sa fille, n'a pas su adopter le discours qui lui aurait permis de cesser ses mises en danger.


Ce livre encourage avec force les parents à faire preuve de patience et de persévérance aux côtés d'une jeune fille mineure, traumatisée et dissociée. Nina introduit cet ouvrage en soulignant : « Mes parents ne m'ont jamais lâchée. Ils se sont battus pendant des mois pour m'arracher à mes délires et à ceux qui en profitaient. Maintenant, seulement, je les entends et je les remercie. Je crois que je leur dois d'être en vie aujourd'hui.... » (p.7-8) et son père le conclut en attestant : « Avec ce livre, ensemble, nous tournons la page » (p.196).


JR, LR


Papa, viens me chercher ! Regards croisés d'un père et de sa fille sur la prostitution des mineures, Thierry Delcroix et Nina, avec Jacqueline Rémy, Editions de l'Observatoire, 2020